Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'Amicale des Apaches - Education en démocratie

27 septembre 2012

Ce soir (ou jamais) ! sur l'éducation

 

Mardi 25 septembre 2012

I/ REVUE DE PRESSE SPECIALE EDUCATION

Cette semaine, Frédéric Taddéï propose une revue de presse "Spéciale éducation" et abordera les thèmes suivants : "Education : l’école est-elle dépassée ?" ; "Morale à l’école : l’Etat doit-il enseigner le bien et le mal ?" ; "Education : la fin de l’autorité ?" ; "Des programmes scolaires au service de l’idéologie dominante ?". Pour en parler seront réunis : Philippe Némo, philosophe ; Ruwen Ogien, philosophe ; Claire Berest, écrivain ; Michel Serres, philosophe ; Jean Claude Brisseau, réalisateur ; Judith Bernard, professeur et metteur en scène ; François Taddei, généticien ; Vincent Badré, professeur d’histoire-géo....
Pour finir, le live avec le groupe NITS

Les thèmes :

1/ Education : l’école est-elle dépassée ?
2/ Morale à l’école : l’Etat doit-il enseigner le bien et le mal ?
3/ Education : la fin de l’autorité ?
4/ Des programmes scolaires au service de l’idéologie dominante ?

A visionner ici :

http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/?page=emission&id_rubrique=1577

Publicité
Publicité
29 juillet 2012

Enfant sacré, sacrés enfants / Un documentaire d'Emmanuelle Sapin et Stéphane Khémis

A voir avant qu'il ne disparaisse de la toile, ce beau documentaire de 2009 : http://vimeo.com/31994620

 

25 juillet 2012

Un peuple créatif / David Langlois-Mallet

Je relaie ici une une tribune de David Langlois-Mallet, chercheur et essayiste, sur les relations culturelles et sociales émergentes, qui dépasse un peu notre question, mais me semble pourtant au coeur de ce que nous avons pu discuter cette année. Il offre, en tous les cas, des perspectives précieuses quant à une refondation possible du vivre-ensemble et du faire-ensemble. 

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

 

« FAY CE QUE VOULDRAS »

François Rabelais, L’abbaye de Thélème, Gargantua,  chapitre LVII (1534)

 

UN PEUPLE CREATIF

Force de mutation d’un peuple créatif, un 11e art, art de la relation émerge

Y aura t-il une volonté ?

Notre peuple est créatif, inventif, éduqué, riche d’émotions et d’idées à partager. Notre pari est qu’il y a dans sa créativité un profond moteur apte à dépasser toutes les crises et toutes les sinistroses du temps, pourvu que le sens soit activé.

Ce travail sur le sens et sur le lien, c’est le rôle des artistes, des lieux et des acteurs culturels. Un peu partout depuis 15 ans s’invente comme un nouvel art. Dans les lieux en friche, les squats, la rue, les campagnes et les banlieues, des artistes cherchent de nouveaux liens. A mesure que la crise de l’humain et des relations s’intensifie, leur urgence, souvent dans des conditions très précaires, s’accélère.Comme s’il fallait compenser par le tissage humain ce que l’économie déchire.

Une force de mutation est en marche pour permettre une mutation des façons de penser. Il y a le potentiel créatif pour forger de nouvelles représentations qui nous redonnent le goût de vivre ensemble, pour renouveler l’aventure de l’art, l’élan de l’éducation populaire et ressourcer les politiques culturelles, faire vivre l’espace public d’une façon nouvelle et permettre la découverte de territoires d’humanité non encore explorés.

Ce mouvement créatif est aujourd’hui entravé par une pensée administrative des années 60. Entravé par la précarité, des lois et une réglementation inadaptées.

Il attend un regard, un souffle, une politique.
Nous connaissons les besoins, nous savons les dangers, nous montrons les richesses.

Nous avons fabriqué les outils.

 

Y aura t-il une volonté ? 

I . Un peuple créatif, fraternel

Un immense besoin de partage et d’expression 

Notre peuple est créatif, inventif, éduqué, riche d’émotions et d’idées à partager. C’est ce point que nous avons placé au départ de notre réflexion parce que dans un temps de troubles, il faut repartir sur des fondamentaux simples et républicains, de la dignité humaine. Notre pari est qu’il y a dans sa créativité un profond moteur apte à dépasser toutes les crises et toutes les sinistroses du temps, pourvu que le sens soit activé. Ce travail de mise en marche d’un tissu humain mobilise des artistes, des lieux de proximité et des collectifs.

Saturés de signes, bombardés de messages et dotés souvent d’outils, les citoyens ont besoin d’expression et de partage, de participation artistique et de fête. Ils ont besoin de se retrouver et de s’exprimer. La profonde richesse culturelle et humaine des gens qui, sans distinction d’origine, peuplent notre territoire, est une réalité massive de la société pourtant négligée par les politiques culturelles. C’est elle que nous proposons de prendre en compte. A ce titre, notre travail serait un frère de celui de l’éducation populaire à condition de bien comprendre qu’il n’est pas ici question de remplir un vase vide et en aucun cas de faire descendre une culture d’en-haut vers des masses supposées ignorantes.

Libérer l’expression d’autres légitimités

Nous avons plutôt pris en compte des richesses multiples : il y a les plus évidentes, celles dont la créativité se trouve souvent entravée par le marché  : créatifs culturels, jeunes générations, geek, intellos-précaires, plasticiens-RMIstes, artistes spontanés de la rue, graffeurs, taggeurs, poètes des rues, slameurs de bars, etc.. Les moins évidentes aussi car il n’est pas pour nous seulement question de créateurs qui aspirent à une reconnaissance artistique. Ce ne sont pas les moins riches ni celles dont l’expression est la moins porteuse de sens : enfants, mères de famille, personnes d’origines étrangères, personnes âgées ou handicapées, humanité que l’on va chercher jusqu’au cœur des prisons. Un catalogue qui semblerait un programme social, s’il n’avait pour but d’évider en creux deux figures, celle de l’homme blanc, bourgeois, quinqua-septuagénaire à haut niveau d’études d’une part, et son pendant du marché, l’image de la femme sexy identifiée au mannequin, si possible chanteuse en plus. Pas par ostracisme d’ailleurs, mais pour souligner les richesses qui existent là où on ne les cherche pas habituellement, où on ne les attend pas. Là où elles ne sont pas considérées comme légitimes. En creux, l’expression de l’art du temps étant aussi politique, se dégage une figure de la légitimité politique d’aujourd’hui, moins fondée sur l’expression politique elle-même que sur l’organisation de l’expression de toutes les légitimités.

Typiquement aujourd’hui, ce qu’il faut de plus urgent, c’est une solution pour mettre en relation les expressions de la créativité contemporaine qui n’ont pas de débouchés ni de regard et les 90% de personnes qui ne fréquentent pas les lieux officiels.

C’est l’exemple de la troupe de théâtre amateur ou même professionnelle dont les artistes ont créé une œuvre, parfois au fil de deux ans de travail, et qui n’ont pour le moment qu’une ou deux occasions de la jouer. Il faut les relier avec toutes les personnes qui rêveraient d’échapper un soir à leur solitude ou aux écrans, mais qui n’ont pas forcément les moyens d’investir dans un billet ou même d'y penser tant il est vrai qu'on les conditionne différemment. Une politique culturelle doit assurer à faible coût cette passerelle en s’appuyant sur le tissu des lieux de proximité et des collectifs existants.

II . Lieux d’émergence et de culture populaire...

matrices d’une mutation culturelle 

Ce travail pour faire émerger le sens et créer le lien de la société, c’est la mission que se sont donnée d’eux-mêmes des artistes, des auteurs de lieux, des acteurs culturels. Un peu partout depuis quelques années ils inventent la possibilité d’un nouvel art. Dans les lieux en friche, les squats, la rue, les campagnes et les banlieues des artistes cherchent de nouveaux liens. A mesure que la crise de l’humain et des relations s’intensifie, leur urgence, souvent dans des conditions très précaires s’accélère. Comme s’il fallait compenser par le tissage ce que l’économie déchire... 

la force d’une mutation 

Les lieux émergents, squats, bars culturels ou autres sont les catalyseurs des relations à l’échelle d’un quartier. Le quartier aujourd’hui c’est l’unité de sociabilité. Entre voisinage et espace public il retrouve un rôle essentiel d’humanité. C’est ici, à l’heure de la globalisation, d’Internet, des réseaux sociaux, que se répercute l’écho reçu de la planète. Le village monde dans sa diversité se retrouve au bar du coin. Et spontanément, entre des gens aux parcours d’origine (comprend pas parcours d’origine) et aux références culturelles différentes, on se tourne, pour échanger, vers de vieilles recettes, celles des cultures populaires urbaines.

Ce sont elles qui inventent les signes et le langage commun à partir des référents et des valeurs partagées. Dans les quartiers populaires ou mixtes, se forment ainsi des mélanges qui sont autant de signes d’une nouvelle alliance. En matière d’intégration, les balluches sont plus nécessaires que les discours. Il faut avoir à l’esprit pour comprendre notre monde les petits poulbots parisiens de la Goutte d’Or dont les parents sont nés au Mali autant que les demoiselles Dupont fans de danse africaine, ces groupes japonais d’accordéon musette comme ces couples qui se forment sur un air de châbi sans se demander où étaient nés leurs parents. 

III . ...et collectifs d’artistes / laboratoires du sens et secteur R&D du lien social

La diversité des collectifs d’artistes existants est l’une des plus grandes sources de développement créatif et d’innovation. Les politiques publiques n’ont pas assez pris en compte l’importance de ce mouvement et le sens de ce qui se joue comme transformation du rapport des artistes à la population et comme mutation culturelle. Dans sa diversité, ce secteur d’innovations sociales est un peu le laboratoire Recherche et Développement de notre vivre ensemble. Ce sont aussi les fabriques d’oeuvres, les ateliers... Avec la créativité publique, les lieux de proximité et l’espace public, les collectifs sont les maillons du terreau culturel. Vu leur singularité et leur hétérogénéité, il est nécessaire que le politique les approche comme il le ferait dans le secteur économique, en les regardant comme des porteurs de projets, des pépinières...

Comme pour le phénomène de la collocation dans la société, ce mouvement culturel tient pour partie de l’adaptation à la précarité, mais aussi d’un besoin d’échange et de convivialité. Il s’y pratique des formes d’échange et de mutualisation très variées, allant du simple partage d’outils, à des mises en commun, allant jusqu’à la naissance de formes artistiques pluridisciplinaires. Les collectifs sont ainsi susceptibles de prendre des formes singulières.. Elles vont du simple partage de loyer qui a l’impact limité de la présence d’artistes, à des portages de projets artistiques complexes dans un champ précis (gravure, photo, arts plastiques), ou socio-culturels de toutes natures dirigés principalement vers le territoire. Il importe de voir avec chaque collectif la nature de ses intentions et propositions, son action, et d’en évaluer la présence, de l’intérêt général et pas uniquement de l’intérêt personnel des acteurs.
Le collectif est une révolution dans le champ culturel qui manifeste une évolution sociologique de première importance. Celle d’un troisième modèle entre des formes collectives en décrépitude et l’impasse individualiste. Une solution qui permet de faire son travail personnel et de participer à un sens collectif. Une évolution qui n’est bien sûr pas sans lien avec d’autres formes, politiques notamment, dans le nouveau militantisme, les coopératives salariales etc. Et sont autant d’indices de l’évolution de la société qui cherche à naître. Parfois dans l’indifférence et le mépris (on pense aux élus qui se focalisent sur le mode d’occupation, par exemple l’occupation sans droit ni titre d’une friche, plutôt que sur le projet lui-même).

IV . La création culturelle, circulation et entrave 

Un exemple illustre très bien, le fonctionnement de la chaîne solidaire que forme la culture, c’est celui de la jeune scène chanson. 

Alors que la chanson française était tombée brutalement aux oubliettes dans les années 80-90, il y a une quinzaine d’années, tout un mouvement de jeunes artistes est apparu. Une génération spontanée a poussé dans les bars à Paris, mais aussi à Rennes, Toulouse ou Grenoble, qui se sont transformés en scène ouverte. De jeunes auteurs (comme Bénabar) ont pu se familiariser avec un public sur ces très petites jauges et dans le même temps, le public populaire avait, pour le prix d’une bière accès à des artistes avec qui, miracle de la culture à taille humaine, ils pouvaient même aller sympathiser après le concert. Cela avait un effet positif sur les environs, une certaine convivialité débordait dans l’espace public et une petite circulation faisait refluer dans certains quartiers une petite délinquance ou de petits trafics qui évitent la lumière.

De bars en petites salles, certains jeunes artistes amateurs sont montés très haut. Tous ne sont pas devenus de grands artistes, mais sur le terreau de ces lieux modestes, toute une génération a pu s’exprimer en chansons, un public se reconnaître dans des sujets qui parlaient de sa vie, de son quotidien, irriguant le champ public de représentations nouvelles. Symbolisations sans lesquelles les tensions de société se retournent en violence plutôt qu’en dialogue.

Ce mouvement pourtant a été stoppé brutalement par la loi Voynet sur le bruit. Cette dernière, même si elle ne visait pas la culture, instaure un déséquilibre très favorable au plaignant et de nombreux bars ont dû cesser une programmation qui leur attirait trop d’ennuis, participant ainsi à une perte de sens et de valeur de l’espace public, à sa désertification culturelle et à sa banalisation.

L’exemple du Canal St Martin à Paris est frappant. Lieu de trafic avant que les bars à chansons n’en fassent un quartier vivant, il n’est plus depuis qu’on les a fait taire qu’un simple quartier de bars à touristes bobo, sans autre vocation que de faire de l’argent.

V . Un espace public réinventé 

La sociabilité dans l’espace public, condition de notre hominisation

C’est dans les espaces de convivialité que s’invente, avec les liens, la possibilité d’un vivre ensemble. Se connaître, se fréquenter, sont, bien plus que la surveillance policière, les conditions d’une sécurité, mieux peut-être d’une convivialité. Ironie de l’histoire, ce n’est pas le ministère de la Culture qui s’intéresse à ces phénomènes. Il semble même, au rythme des expulsions de squats, des interdictions de concert, ou des PV donnés aux artistes qui chantent ou dansent sur le pavé des rues, que ce soit au ministère de l’Intérieur qu’ait été délégué ce pan entier de l’activité culturelle. Que Claude Guéant se trouve placé au cœur du lien social... le malaise fait à lui tout seul image.

Redonner du sens à l’espace public / faire confiance aux artistes 

Dans une société un peu rationnelle, c’est à dire culturelle, ces lieux d’élaboration d’un langage commun seraient reconnus d’utilité publique et l’irruption spontanée de l’art sur le pavé serait perçue comme une chance. De notre point de vue, l’espace public est :

  • Un espace de liberté individuelle et d’aventure humaine

  • Un lieu de confrontation et d’apprentissage des tensions de la société

  • L’opportunité de rencontres spontanées, une chance d’échapper au formatage relationnel

- Du point de vue de la puissance publique, c’est un espace de moins en moins créatif et qui est au contraire entièrement dédié au contrôle sous toutes ses formes. Pour l’élu, l’espace public semble catalyser une phobie : la peur qu’il s’y passe quelque chose semble dominer toutes ses décisions.

- Du point de vue des artistes qui la font vivre, il semble que ce soit la peur qu’il ne s’y passe rien. J’ajouterais un point de vue de sciences humaines qui nous disent qu’il s’agit pour les humains d’un espace de socialisation majeur et d’apprentissage du vivre ensemble.

« La culture, mot et concept, est d’origine romaine. Le mot "culture" dérive de « colere » - cultiver, demeurer, prendre soin, entretenir préserver - et renvoie primitivement au commerce de l’homme avec la nature en vue de la rendre propre à l’habitation humaine. En tant que tel, il indique une attitude de tendre souci, et se tient en contraste marqué avec tous les efforts pour soumettre la nature à la domination de l’homme. »

Hannah Arendt, La crise de la culture. 

VI . Le terreau culturel

premier maillon de la chaîne culturelle 

Se dégage au fil de cette contribution une vision, à la base du phénomène de culture vivante, d’un terreau composé de l’expression du peuple, des lieux de proximité et de l’espace public comme lieux ressources de l’expression sans rupture avec la monstration et des collectifs d’artistes comme catalyseurs, propulseurs, inventeurs. Le double sens du mot culture, se prête bien à expliquer notre intention par cette image. Comme le précise Frédéric de Beauvoir, directeur du Cent, « Il faut une politique qui s’intéresse à la terre plus qu’aux plantes. » Notre conception de la culture se rapproche de la démarche de l’agriculture bio qui, à la différence de l’agriculture intensive, s’attache à enrichir la terre quand la seconde met de l’engrais sur les plantes.

Ainsi, si aujourd’hui les jardiniers des politiques culturelles cherchent à faire pousser des artistes ou des compagnies de spectacle, qu’ils doppent parfois à l’engrais de la subvention, d’autres fois, ils cherchent à planter des espèces rares sur des sols non préparés pour les recevoir, mais surtout sans respect de la végétation qui y pousse déjà.

L’approche que nous proposons pour demain part d’une considération pour l’existant. Notre principe est d’aider les acteurs à labourer le terrain, de la ville, des quartiers ou des villages. Dans le respect et l’intérêt pour ce qui y vit et y pousse déjà. Une fois le sol nourri il va y pousser les potentiels qui s’y trouvent. Certains seront peut-être exceptionnels, mais tous auront une fonction et un usage pour ce qui les entoure. Dans notre approche, ce n’est pas d’en-haut que se décidera l’agrément local ou l’éradication, comme c’est encore trop le cas par le biais de politiques culturelles descendantes qui font table rase de l’existant. Pratiquer une politique descendante pour une collectivité aujourd’hui n’est pas seulement une bêtise culturelle, c’est une faute politique. Puisque cela revient à accompagner le marché dans sa volonté de gentrification de l’espace urbain en se faisant l’adversaire des initiatives de lien du territoire. C’est typiquement l’impasse actuelle de la politique culturelle de la Mairie de Paris.

VII Culture montante ou culture descendante ?

D’une façon plus large nous souhaitons que ces réflexions sur le tissu culturel inspirent une réflexion simple, mais de fond, aux élus et aux auteurs des politiques publiques. Le choix peut se résumer ainsi :

1- Culture descendante ?

La culture est-elle un objet que le politique doit contrôler et qu’il fait retomber sur la population sous forme de programmations en attirant vers elle « des publics » avec plus ou mois de difficultés et à grands frais de communication ? Dans ce premier cas, l’élu serait une sorte d’arbitre des élégances, contrôlant avec les opinions et les goûts de son âge, ceux du public. Une sorte de père qui gèrerait le contenu de l’Ipod de ses ados.

2- Culture montante ?

La culture n’est-elle pas plutôt une expression qui monte de la société sous des formes qui expriment ses besoins tels qu’ils se donnent, tels qu’ils se vivent ? Dans ce second, l’élu serait attentif aux expressions nouvelles de la société. Il s’inspirerait pour son action des signes et messages qui lui parviennent, permettrait leur expression, favoriserait leur émergence, aiderait à la progression des plus signifiantes.

Le choix de se référer pour une politique culturelle à une culture montante ou descendante est une question de philosophie de l’action publique. Inutile de préciser où va notre préférence, car ce qui est en phase avec les aspirations de la société contribue à en résorber les fractures et les crises, quand ce qui accompagne le profit individuel irraisonné les précipite.

« Qu'est-ce que le Tiers-Etat ? Tout.
Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l’ordre politique ? Rien.
Que demande-t-il ? A y devenir quelque chose. »

Emmanuel-Josephe Sieyès, 1789

 

 

Reconnaissance du tiers secteur culturel

Scénarios de refondation pour une République culturelle

  

1. Un peuple créatif

La nécessité : permettre l’expression et la rencontre

Notre proposition : Création d’une bourse de projet culturel de société

Il faut soutenir les micro-projets culturels d’initiative citoyenne. Tout projet citoyen dans le domaine culturel, en appui sur un lieu de proximité, se verrait soutenu à hauteur de 1000 euros. En échange de quoi il s’engagerait à un cahier des charges de respect du voisinage, d’ouverture à tous (habitants, personnels des comités d’entreprises, scolaires, public municipal, tarifs sociaux etc..). Le droit d’entrée devant se faire sur la base de l’euro symbolique.

Ouvrir par exemple des bourses de projet à 1 000 euros pour l’expression culturelle et la rencontre serait une mesure de mise en marche de la société en même temps que le symbole fort qu’une nouvelle ère politique s’ouvre.

2. Les outils de mutation

La nécessité : Une vraie politique pour les lieux de proximité et collectifs

Notre proposition : Etudier avec les acteurs des scénarios de refondation

L’originalité de ce secteur et son autonomie impose une invention politique, celle-ci ne peut être imaginée qu’en concertation étroite avec les acteurs

Plusieurs pistes de réflexions sont ouvertes qui ne s’excluent pas. Mais là encore, le processus de partage de réflexion et d’échange importe autant que la décision, car ce sera aux acteurs eux-mêmes de se réapproprier cette politique qui ne vit que de leur initiative propre et part donc de leur reconnaissance par le politique. C’est le sens du travail mené dans notre groupe et de la diversité des contributions qui en sont issues et sont disponible sur le site www.altair-thinktank.com

La reconnaissance et la protection de l’indépendance de la culture de proximité et du tiers secteur culturel Le ministère de la Culture pourrait protéger un réseau très dense de CNDCQ (Centre National Culturel de Quartier). Celui-ci n’est pas une création ex-nihilo du fait de la volonté publique, mais une reconnaissance de l’existant.

Médiation. La mise en place d’une instance de médiation du ministère avec les collectivités territoriales est nécessaire. Par exemple une instance de concertation régionale, réunissant les institutions, Drac et collectivités territoriales s’étant donné la compétence culturelle, serait prévue. Ce Tiers Secteur culturel serait également représenté auprès du Médiateur de la République pour toutes les questions de litiges entre lieux et collectivités.

Création d’une Coopérative réunissant l’ensemble des collectifs, structures et lieux se réclamant d’un Tiers Secteur culturel de proximité. Les subventions du Ministère de la Culture et des collectivités territoriales pourraient être réparties équitablement entre ses membres sur une base qui serait à définir ?
C’est une des solutions envisagées pour que l’argent aille à la création et non à gonfler les charges de l’administration de la culture (80 postes administratifs pour un emploi créatif, celui du directeur dans une scène nationale). Ses comptes seraient soumis à l’approbation des pouvoirs publics, sa structure pilote très légère. Structure de répartition, ses frais de fonctionnement seraient extrêmement plafonnés pour que la quasi totalité des moyens aillent aux lieux et aux compagnies.

- L’ouverture d’un grand lieu d’utopie, d’expérimentations artistiques et culturelles et citoyennes, par exemple sur le lieu symbole de la citoyenneté, en face de l’Assemblée nationale, Place de la Concorde, à l’Hôtel de la Marine. Elle pourrait accueillir une structure comme Hors les Murs, dont le champ et l’objet seraient redéfinis en lui offrant un champ d’action beaucoup plus large, non seulement arts de la rue et cirque, mais lieux, collectifs, des émergences etc.

- Refonder par un travail parlementaire l’ensemble de la vision de l’espace public, revenir sur la loi Voynet. Reconnaître le rôle culturel des cafés à activité.

3. Un espace public réinventé

La nécessité : Réinventer le rôle de l’espace public

Notre proposition : une initiative parlementaire

Il faut d’urgence qu’une commission parlementaire se penche sur la question de l’espace public et lève dans la loi un certain nombre d’interdictions, de freins qui pèsent sur la rue. Par ailleurs, il faut parvenir à une synthèse claire des travaux qui démontrent la nécessité du rôle de la culture dans l’espace public. De façon à penser une politique de progrès. Les artistes doivent pouvoir de nouveau librement faire vibrer l’espace public, c’est la vraie place du spectacle vivant.

4. L’expertise sociale du terreau culturel

Nécessité : coordonner l’expérience de terrain et la décision politique

Notre proposition : Remonter les expériences du Tiers Secteur Culturel

Représentation des émergences culturelles au conseil économique et social

On ne situe pas impunément l’activité artistique au contact des réalités. Comme on ne met pas sans conséquence toute une génération éduquée dans des conditions de vie précaires sans qu’il n’en sorte une pensée. Il s’agit maintenant de s’appuyer sur ces moteurs d’expérience et de transformation sociale pour que le conseil de l’Etat (heu phrase pas finie ?). Une mission qui aurait sa place au sein du Conseil Economique et Social. Avec pour objectif l’inscription de la marge dans les institutions et sa reconnaissance et surtout la remontée de ses expériences utiles à la société dans tous les domaines (bien-être, cadre de vie, sécurité, emploi, innovation etc.).

Nécessité : soutenir l’existence créative des acteurs de la culture

Notre proposition : Ouvrir une réflexion sur le revenu d’existence

La professionnalisation ou la préprofessionnalisation dans le secteur de la culture concerne différents types de parcours qui sont souvent sécurisés dans les faits par le filet social que constitue le RSA. C’est une réalité indissociable de la mise en danger qu’acceptent les acteurs pour des raisons de sens : ne pas perdre sa vie à la gagner mais plutôt produire du symbolique pour ne pas mourir. Cela renvoie au sens de leur vie, à leur conscience citoyenne des projets d’utilité publique qu’ils comptent développer.

  • l’activité artistique complémentaire d’une activité de revenu ou d’un revenu social

  • L’activité artistique qui travaille sur le lien, la médiation, la mise en route de la créativité des autres et aussi des lieux.

  • Et aussi des artistes en développement qui visent à pousser toutes leurs qualités dans un projet artistique professionnel qui est, ou tendrait à devenir, leur activité principale, régulière, rétribuée.

La réflexion culturelle ouvre là encore sur un sujet de société. Celle des minima sociaux et des ressources humaines sur lesquelles le politique entend miser. Une décision dans ce domaine est liée à la vision de la société portée par le politique. Si l’humain n’est pas perçu d’abord comme un profiteur (on parle de 480 € par mois dans le cas du RSA) ou un ivrogne pressé d’aller boire aux frais de la société son larcin. Mais plutôt comme un porteur de projet qu’il convient de soutenir quelles conséquences en tire t-on, pas seulement pour « les gentils nartistes », mais dans une politique sociale d’ensemble ?

Nécessité : penser de nouveaux financements pour la culture

Notre proposition : Evaluation de cette politique

La culture de proximité ayant comme justification une amélioration de la qualité de la vie et du moral des français, le secteur aurait pour objectif de tendre vers l’auto-financement. Celui-ci serait évalué sur la base d’une reversement des dépenses négatives qu’il permet d’économiser sur des dépenses publiques négatives (Frais de santé, sécurité, conflits de voisinage etc.).

Une mission d’expertise avec le concours de la Cour des Comptes et du Conseil d’Etat serait chargée d’évaluer l’impact positif de l’activité culturelle de proximité dans tous les domaines du vivre ensemble : impact sur les relations, le moral, la sécurité, l’image du territoire, le tourisme, les violences aux personnes etc.. Les indices habituels du moral des ménages et du bonheur intérieur brut seraient également estimés.

Quel lien avec l’institution culturelle, quel impact sur l’action du Ministère de la Culture en particulier ?

Cette politique de terrain ne nie bien sûr pas la nécessité d’accompagnement dans la croissance des artistes et la professionnalisation sur le marché ou par l’institution. Mais c’est toute la politique des institutions, collectivités locales ou du ministère de la Culture qui doit se trouver modifiée par une attention nouvelle pour ce que fabrique la société. Il est totalement aberrant que la plupart des acteurs institutionnels ne descendent (où ?) qu’avec méfiance, réticence, voir se détournent dégoûtés par ce que produit leur époque. Les critères de distinction qui ont cours dans l’institution, ainsi que la définition de la mission et la formation des personnels est à réinterroger et ne peut l’être sans une réflexion politique globale sur le sens de l’action publique.

Une des propositions des groupes de travail était d’ailleurs de changer le nom du Ministère en faveur de : Ministère de la Culture et des arts.

Nécessité : réorienter l’activité des institutions culturelles face à la crise

Notre proposition : une entrée en résistance des équipements culturels

Acter du fait que la séquence historique qui s’ouvre implique une mobilisation exceptionnelle des acteurs et des ressources. Il faudrait permettre et encourager la mobilisation des acteurs institutionnels qui le souhaitent.

L’aspect transversal de la culture
Nous savons que la culture n’est pas un sujet isolé, mais qu’une image, une musique, une danse, un écrit ou un acte nous parle de notre rapport à la réalité. En quoi cela peut-il enrichir l’action publique ?

Chaque ministère devrait par ailleurs accueillir en résidence des artistes. Pour se voir poser de l’intérieur des questions utiles et accepter que l’inquiétude sur le sens s’invite dans l’action. Quelles conséquences cela a t-il pour leurs administrés si les fonctionnaires n’ont pour représentations de la réalité que celles d’artistes majoritairement masculins du XXe siècle dans des décors du XVIIIe siècle ? Ou, dit différemment, que peut apporter au travail des fonctionnaires le fait d’être en contact avec des représentations contemporaines des réalités sur lesquelles ils agissent au quotidien ? C’est toute la question de la fracture politique qui se pose ainsi.

Enfin un dernier point sur le ou la futur-e ministre de la culture. Peu importe qu’il aime le rap ou la musique classique. Il paraît nettement que sa qualité principale doit être l’intelligence relationnelle.

 

David Langlois-Mallet

Coordinateur du groupe d’Altaïr « marges et cultures populaires »


Paris, le 6 mars 2012

 

Premier-es signataires « Un peuple créatif »

Gloria ARAS, duo ETXEA, Sylvie ARMILLON, Chargée d'études et de réalisations culturelles, Centre National Georges Pompidou, Camille ARNAUD, réalisatrice-monteuse, Danielle BELLINI, chargée de cours en politiques culturelles à Paris 7, Jean BOJKO, metteur hors scène, TéATr'éPROUVèTe (Corbigny, 58), présidente des Souffleurs commandos poétiques, Carmelinda BRUNI artiste du spectacle ex- Théâtre de FortuneAlain CADILLAC, coordinateur executif université européenne de la recherche pft JP Faye, GillesCOMBET, réalisateur, Claire DEHOVE, WOS/agence des Hypothèses, Eric DELION, réalisateur, Télé de GaucheJean DIGNE, Président de Hors-les-Murs et du Musée du Montparnasse, Jean DJEMAD, Cie Black Blanc Beur, Frédéric ETCHEVERRY, duo ETXEA, Dominique FOLLENFANT, artiste plasticienne, La Fonderie, Philippe FOULQUIE, directeur fondateur du théâtre Massalia, Olivier LE GAL collectif Mu (Paris), Alexandra GARSON, Psychanalyste, Vincent GARSON Art Director, Zérane GIRARDEAU Productrice Confluence Artistique, Guillaume GOMIS, journaliste spécialiste du mouvement squat, Franck HILTENBRAND dit YABON PANAMEartiste plasticien, co-gérant du Carrosse, Paris 20e , Cyrille HUGON gonzo journaliste à l’Ethylique, David LANGLOIS-MALLET, artiviste et essayiste, Monica LY, chorégraphe-metteuse en scène, Jean MERMET, Blandine PELISSIER, actrice et metteure en scène, association H/F, KTY Catherine POULAIN, artiste plasticienne, co-gérante du Carrosse, Paris 20e, et Transversales K, Sara RENAUDmembre du collectif le Jardin d'Alice (Paris 18eme), Karine ROYER, Médecin généraliste, Nathalie SAÏDI, Art Passionata, Les Arts et Mouvants, Laurent SCHUH / Les Arts et Mouvants, Khalid TAMER, président du Lavoir Moderne Parisien

13 juin 2012

La transmission... ou pas

Cette proposition des Laboratoires d'Aubervilliers a peut-être un rapport avec la transmission...

Ou pas.

En tous les cas, la voici :

http://www.leslaboratoires.org/date/illegalcinema-93

 

(Pour infos, sur Illegal Cinema :

Initié aux Laboratoires d'Aubervilliers par Marta Popivoda* dans le cadre de la résidence de la plateforme serbe TkH-Walking Theory (2010-2012),How To Do Things By Theoryillegal_cinema est un rendez-vous hebdomadaire lors duquel des spectateurs montrent à d’autres spectateurs des films qui les touchent, pour en discuter ensemble. Chacun(e) peut proposer une séance, en inscrivant le film choisi dans une problématique qui sera débattue après la projection. Rendre poreuses les frontières entre « programmateur/trice» et «public»: tel est l’enjeu du projet. Tout type de film peut faire l’objet d’une séance, qu’il s’agisse de courts ou de longs-métrages, de documentaires, de films d’animation, de vidéos d’artistes, ou autres objets filmiques. Une seule limite: un/e réalisateur/trice ne peut pas venir montrer ses propres films, la discussion collective devant l’emporter sur le discours d’autorité auquel nous sommes habitués face à un(e) auteur(e) ou un(e) expert(e). Tous les lundis soirs depuis mai 2010, des discussions sont organisées à partir de films ayant une circulation restreinte dans les circuits habituels du cinéma ou dans les médias, proposées chaque fois par une personne différente.

illegal_cinema a d‘abord vu le jour à Belgrade en 2007 au sein du collectif serbe TkH - Walking Theory, à l'initiative de Marta Popivoda. Dans un pays où l’accès à des films indépendants et expérimentaux est rendu difficile par l’absence de plateformes et d’outils de diffusion, le projet rend possible l’accès à de telles œuvres [voir l'historique du projet par Marta Popivoda]. Dans le contexte spécifique des Laboratoires d’Aubervilliers et, plus largement, de la scène artistique d’Île-de-France, l'enjeu se déplace vers l'ouverture d'un discours engagé quoique non-expert autour de films dont le public habituel est souvent très spécialisé.

Le processus de transposition du dispositif illegal_cinema a commencé par une redéfinition du terme « illégal » : plutôt que de faire référence au piratage, à l’activisme (très important dans le contexte de Belgrade), ou à la rareté des films projetés, il en appelle ici à l’émergence d’un discours critique au sein des spectateurs. En outrepassant l’autorité habituellement donnée au spécialiste, ces séances « auto-programmées » reconnaissent à chacun/e l’ « expertise » pour s’exprimer sur l’expérience filmique comme sur des sujets sociaux et politiques très divers. En transcendant les frontières entre les formats et les publics auxquels ils sont habituellement dédiés, illegal_cinema permet ainsi la rencontre entre des publics variés et la naissance d’une discussion partagée.)

7 juin 2012

Transmettre, oui... mais comment ? - Philippe Mérieu

Extrait du numéro de la revue Sciences Humaines sur "Qu'est-ce que transmettre", en partie consultable sur :
"On s'accorde aujourd'hui à penser que les apprentissages scolaires ne relèvent pas d'une simple inculcation. Pourtant, l'accès à une culture universelle est un impératif des sociétés démocratiques. C'est sur ce paradoxe que se bâtit la réflexion pédagogique..."
Selon Mérieu, il y a trois principes fondateurs pour nourrir le débat qui se crée autour de ce paradoxe. "l'école doit transmettre, indissociablement, 1) des savoirs qui inscrivent l'enfant dans un groupe d'appartenance et lui permettent de s'y intégrer ; 2) des savoirs qui donnent à l'enfant les moyens d'échapper à toute forme d'emprise, y compris l'emprise de la collectivité dans laquelle on l'inscrit ; 3) des savoirs qui permettent à l'enfant d'accéder, au-delà de toute appartenance spécifique et de l'expression légitime de sa singularité, à l'universalité de l'humaine condition."
L'enfant nait démuni. Il est introduit dans le monde par l'adulte. Il lui faut donc apprendre et se soumettre aux règles de ceux qui l'accueil (horaires, habitudes, codes, obligations...). L'éduqué ne peut pas choisir lui-même ce à quoi il doit être éduqué. Dans ce cadre, l'adulte a un "devoir d'antécédence" : il ne peut abandonner l'enfant sans l'inscrire dans "l'inscrire dans une histoire et lui donner les moyens de se développer dans la collectivité qui l'accueille habitudes et savoir-faire qui lui permettent de vivre au quotidien, langages fondamentaux pour communiquer avec ses semblables dans tous les domaines, connaissances des phénomènes naturels et sociaux dans lesquels il devra s'insérer, identification des enjeux historiques, économiques, politiques auxquels il devra faire face, maîtrise des mécanismes qui permettent de prendre une place parmi les hommes de son temps.".
L'idéal Laïc :
Il est plus que jamais nécessaire d'apprendre aux enfant à résister à toute forme de pensée sectaire qui menace leur liberté (avoir ses propres goûts, possibilité de penser par soi-même). L'école doit transmettre des savoirs qui soient des outils d'intégration et des moyens de s'émanciper.
Il faut retrouver et inventer : "l'art d'exploiter les questions et les garder vivantes"(Bruner), cela permet de :
- restaurer les liaisons entre les générations
- et, apprendre à se relier à ceux qui se posent (et se sont posés) les mêmes questions même si leurs réponses ne sont pas les mêmes.
Il y a place pour la transmission d'une culture qui ne séparent pas les hommes mais les réunit.
La pédagogie au service de la transmission :
L'école doit assurer une transmission rigoureuse et systématiques des savoirs. Or, dans la vie on apprend, bien sûr, mais de façon inégalitaire et au hasard des rencontres (tout le monde n'étant pas confronté à un ensemble organisé de connaissances et aux méthodes pour y accéder). Si l'école est une institution d'éducation démocratique (accessible à tout un chacun), une des contradiction les plus forte à laquelle est confronté l'enseignement est le caractère volontariste du projet éducatif universaliste qui se heurte à la singularité de chacun et la diversité des parcours.
C'est "dans la reconnaissance de cette contradiction assumée, que naît la pédagogie." Grâce aux méthodes actives (courant de l'éducation nouvelle et pédagogie du projet), l'apprenant va découvrir, à l'occasion d'un projet qui le mobilise, des connaissances pour lesquelles il n'était pas forcément motivé.
Restaurer le désir :
"le maître doit accompagner mais qu'il ne peut qu'accompagner.","être fidèle à l'impératif devoir de transmission tout en permettant à l'élève de s'approprier lui-même, dans une démarche dont il est l'acteur, les connaissances que l'on doit lui transmettre.", "seule la décision de l'élève peut lui permettre de progresser, d'apprendre et finalement de grandir.", "Faire alliance avec l'enfant contre toutes les formes d'adversité et de fatalité" et créer "des situations d'apprentissage qui sont les vecteurs d'une transmission à hauteur d'homme".
Publicité
Publicité
7 juin 2012

Compte-rendu de l'Amicale du 5 juin 2012 / La transmission, une question de temps ?

Nous commençons par revenir sur deux posts que vous trouverez ci-dessous : l'extrait d'un entretien avec Bertrand Ogilvie et le compte-rendu d'une rencontre à Vitruve avec Patrick Viveret. 

Le constat est assez similaire : l'école ne parvient pas/plus à faire son travail de transmission. Colonisée par la formation et l'évaluation, elle est fondamentalement paradoxale et, se complaisant dans le fantasme égalitaire, renforce les inégalités. L'entretien avec Bertrand Ogilvie offre une histoire éclairante de ces paradoxes de l'école française républicaine depuis 1789. Prise dans une  double torsion spatiale et temporelle, elle distribue la différence de valeur entre les élèves et construit leurs identités sur un paradoxe : " Dans cet espace euclidien et cette temporalité simple où se trouve l'élève, ce qui se voit, c'est que son voisin a répondu à toutes les questions et pas lui. Il ne peut en conclure qu'une chose, vu le système d'interprétation dans lequel il est : qu'il y a une différence de valeur entre lui et son voisin, alors qu'il n'y a qu'une différence de temporalité, et que cette différence de temporalité n'a aucune importance, et n'a rien à voir avec la transmission des savoirs."

La réponse de Patrick Viveret à ce constat d'échec est de rappeler l'importance de ce qu'il appelle les TNTS ou Toujours Neuves Technologies de Sagesse (par opposition aux NBIC ou Technologies Nano Bio Informationnelles et Cognitives en transformation perpétuelles et toujours déjà obsolètes). Il rappelle l'importance de reposer - et donc de transmettre - les questions humaines fondamentales, seule manière de pouvoir penser le dialogue des civilisations (et non leur choc).

Se posent en effet plusieurs questions. 

>La question du sur-mesure. L'école s'industrialise, fait sur mesure et être intelligent, c'est d'avantage s'adapter à, répondre à des exigences extérieures qu'inventer, proposer. La résistance n'est pas/plus une valeur positive, contrairement à l'adaptabilité.

>La question du désir. Apprendre par coeur : contre l'apprentissage de mémoire de savoirs extérieurs à soi, apprendre non pas par coeur, mais avec le coeur. Avec le désir. Transmettre, c'est transmettre le désir et amener ailleurs, afin de surprendre et par là de rendre curieux. On pourra écouter sur cette question le Grand Entretien avec Cécile Ladjali sur France Inter (http://www.franceinter.fr/personne-cecile-ladjali - A 45 mn d'émission)

>La question du contrôle et du lâcher prise. Pour transmettre, il n'est pas forcément besoin de contrôler, de maîtriser, de savoir déjà. On peut transmettre dans le défaut, le manque ; on peut se refonder dans l'incapacité. Célestin Freinet invente sa pédagogie parce qu'il se trouve en incapacité d'enseigner debout sur l'estrade à ses élèves. Il doit trouver des solutions et réinvente l'espace de la classe et les liens qui se tissent entre les élèves. Rancière, dans le Maitre ignorant, pose que le maître n'a pas besoin de savoir plus que/avant ses élèves, que l'apprentissage se fait dans le questionnement, l'écart entre et la recherche collective de réponses. 

Qu'est-ce que cela produit de lâcher prise, de surprendre ? Qu'est-ce qui fait alors sanction ? Sanction, non pas au sens de punition, mais au sens de rupture, de limite, d'intervention du tiers. Cela suppose de ne pas avoir peur de ce que l'autre va trouver et proposer, ni de ce qui va se tisser entre les élèves/les enfants et entre l'élève/l'enfant et soi.

Pierre Rabhi (voir son blog dans les liens et son intervention dans Solutions locales pour un désordre global, de Coline Serreau), défenseur d'une agriculture indépendante du pétrole et sur sols pauvres, fondateur du Mouvement Colibris, s'interroge sur la question de la transmission. Et part de la nécessaire insuffisance de chacun.

>La question des grands récits. De la réimportation de la critique anglo-saxonne postcoloniale en France (Revue des Livres, Editions des Prairies ordinaires, etc.), de l'accessibilité des outils techniques de diffusion en ligne (blogs, youtube, etc.) et de l'effort des intellectuels pour d'une part faire le lien avec les militants, d'autre part prendre le temps de proposer des points de vues forts et alternatifs au grand public (Appel des Appels, Frédéric Lordon et autres) résulte un foisonnement de réflexions et contre-propositions précieuses. On a l'impression de sortir d'une période d'une vingtaine d'années où il a été difficile de dire, de nommer, de retisser les récits fondamentaux, d'avoir été comme happés par le mouvement, le changement et la difficulté à saisir le sens de ce mouvement. 

Certains (Frédéric Lordon) défendent la nécessité de transformations institutionnelles, d'autres (Edgar Morin) d'initiatives locales, d'autres des deux (Patrick Viveret), mais tous semblent supposer la nécessité de faire revivre les questions, de garder vivants et actifs les récits humains, de refonder le lien historique.

En somme, l'important est de continuer à (re)poser les questions. Peu importe que l'on n'ait pas les mêmes réponses, l'essentiel est d'avoir un lieu/temps pour se les poser ensemble. Philippe Mérieu le défend dans le compte-rendu que vous trouverez dans le post ci-dessus "Transmettre, oui... mais comment ?"

30 mai 2012

Patrick Viveret / Une rencontre à l'école Vitruve

Je vous fais part ci-dessous de quelques notes prises mardi 29 mai, lors d'une rencontre avec Patrick Viveret à l'école Vitruve. Cette rencontre a eu lieu dans le cadre d'une série de rencontres autour de la question de l'éducation face/avec les objets de consommations, écrans, etc., et de la question de la valeur. 

Il y a également été question de transmission et de comment conserver le meilleur de la tradition dans le meilleur de la modernité.

---------------------------------

Patrick Viveret

L'éducation entendue comme émancipation, c'est l'éducation au métier - contre l'adaptation au travail et à l'emploi. Le métier entendu comme ministère mystérieux, comme capacité à transformer la matière et/ou comme mystère du rapport à autrui. L'émancipation, c'est s'atteler à la question de savoir que faire de sa vie, plutôt que dans sa vie.

L'émancipation, c'est faire ce mouvement vers l'extérieur, le dehors, dans l'autonomie. C'est sortir de la logique de la formation adaptatrice, de l'obsolescence des filières et techniques du moment, pour faire résonner "métier" avec "vocation" et "profession" - au sens où il faut être habité par ce que l'on professe. Il est important de s'attacher aux mots (au mot "métier", par exemple, plutôt qu'emploi) et de distinguer/nuancer : le travail peut être le travail choisi, mais aussi le travail contraint. Il en va de même de "l'éducation", un terme peu à peu colonisé par la "formation", elle-même colonisée par "l'emploi". On a perdu la capacité émancipatrice de l'éducation au moment même où on aurait besoin de la retrouver.

Le paradoxe actuel est que la lutte du monde ouvrier a à ce point réussi que le travail est devenu un acquis et un droit, alors que la lutte ouvrière visait au dépassement du travail pour atteindre à l'oeuvre et au dépassement du salariat synonyme de subordination. 

Le discours de la crise/dette, nous dit en résumé : "On est contraint d'être dans la logique de l'emploi, de l'austérité, du fait de la dette/crise." Or, si l'on prend les choses du point de vue des mutations technologiques, on arrive à la conclusion inverse. Les mutations technologiques ont permis une grande hausse de la productivité :

de 1820 à 1960, la productivité a doublé,

de 1960 à 2010, la productivité a quintuplé. 

Durant la première période, la hausse de la productivité a permis une répartition des gains (avec congés payés, etc.), mais depuis 1960 il y a eu stagnation puis réduction de la répartition. L'augmentation de la productivité a été consommée de deux manières différentes : 

>par une forme sauvage de réduction du temps de travail, à savoir le chômage de masse (et ses formes dérivées, travail précaise non choisi, souffrances au travail, etc.),

>par la mobilisation de l'énergie humaine à la production de plus en plus à court terme (avec l'obsolescence programmée des produits et la catastrophe écologique qui s'ensuit). 

Par ailleurs, la captation de richesses par le 0,1% des ultra-riches (car il faut désormais distinguer entre les 5% de riches, les 1% de très riches et les 0,1% d'ultra-riches qui ont vu leurs revenus exploser de 70% ces dernières années) est liée à la dérégulation de la finance. Les paradis fiscaux ont doublé depuis deux ans. La BNP a ainsi 189 filiales dans les paradis fiscaux. La prétendue crise (argument n°1 des mesures d'austérité) est avant tout un formidable hold-up. 

 

La pensée de 68 visait à la recherche de l'être, plutôt qu'à une course à l'avoir. Or ce qui apparaît comme des discours radicaux et utopistes aujourd'hui correspondent à la situation concrète du monde pensé en termes classiques de productivité. Aujourd'hui, un cinquième de la population active du monde suffirait à produire les produits de consommation courante. A la question de savoir ce quoi faire des quatre cinquièmes restant, la Trilatérale (http://fr.wikipedia.org/wiki/Commission_Trilat%C3%A9rale) répond par le tittytainment, mélange de divertissement régressif et de dépendance psychologique à l'inverse de toute forme d'émancipation. 

L'éloignement des idéaux de 68 est donc dû à des raisons, non pas structurelles, mais culturelles. Il faut donc se demander où et comment fonctionne notre servitude volontaire. Et comment construire du dialogue de civilisation plutôt que de la guerre de civilisation (comme l'a théorisé Samuel Huntington dans son livre Le Choc des civilisations) ? On ne parviendra à co-construire que si l'on arrive à faire la part du positif et du négatif dans la modernité et dans la tradition, dans les sociétés dites modernes et dans les sociétés dites traditionnelles. 

Dans les sociétés dites modernes, la part positive se constitue de la liberté, des droits humains et notamment de la femme, etc. et la part négative de la chosofication de la nature, du vivant, et finalement de l'humain. Il y a une fascination pour l'objet (car tout ce qui n'est pas objectivé est vécu sur le mode de la régression par rapport à un supposé progrès). Dans les sociétés dites traditionnelles, la dimention positive est celle de la reliance (par rapport à la nature, le sens, le lien social), mais avec le risque d'une dépendance (intégrisme, identité, contrôle social). 

Il faut donc construire une alchimie positive qui allie le meilleur de la modernité et le meilleur de la tradition (et non pas l'inverse). Dans le cadre des grands enjeux éducatifs, il faut donc cultiver les TNTS (Toujours Neuves Technologies de Sagesse) plutôt que (et sans négliger) les NBIC (ou Technologies Nano Bio Informationnelles et Cognitives) en une alternative à la démesure et au mal de vivre. D'un côté donc réglementer la finance, casser le système de captation, en finir avec les oligarchies et de l'autre rééinventer un bien vivre, une sobriété heureuse. 

L'argent dépensé pour la consommation de la drogue dans le monde est dix fois l'argent nécessaire à nourrir et loger les pauvres. Il faut se demander ce qui déclenche la force de vie, la curiosité, s'inventer un trajet d'humanité plutôt qu'un parcours de survie. Il faut nous interroger sur la vision sinistre que nous avons, plus ou moins consciemment, de l'amour (lié à la chute), du bonheur (lié à l'ennui) et du sens (lié à la guerre). Le capitalisme dit déshumaniser pour notre bien, et nous éviter la chute, l'ennui et la guerre. Mais qu'en est-il véritablement ?Il faut réouvrir le dossier et réaffirmer que l'on peut s'élever en amour, intensifier le bonheur et dialoguer le sens. Alors nous n'aurons plus peur d'aller vers un plus d'être, plutôt que vers un plus d'avoir. 

-----------------------------------------

Sur ces sujets, vous pouvez voir quelques documentaires :

>Sur la question du travail précaire et de la souffrance au travail : La mise à mort du travail (http://programmes.france3.fr/mise-a-mort-du-travail/)

>Sur l'obsolescence des objets de consommation : Obsolescence programmée (http://www.youtube.com/watch?v=0VwCPQ7iLwc)

>Sur la dérégulation de la finance : Inside Job (http://www.dailymotion.com/video/xfeuml_inside-job-bande-annonce-vost_shortfilms) ou Cash Investigation - Paradis fiscaux, les petits secrets des grandes entreprises (http://television.telerama.fr/tele/magazine/cash-investigation,8358745,emission37155930.php).  

29 mai 2012

2ème journée organisée par l'Appel des appels

Nous vous faisons suivre cette information concernant la 2ème journée organisée par l'Appel des appels et qui concerne en partie nos questions :

Que deviennent nos métiers ? Comment et à qui en rendre compte ?   

Samedi 7 juillet 2012 / 9h30 - 18h00 au Lieu-dit, 6 rue Sorbier 75020 Paris

 

Chers amis,

nous poursuivons comme prévu le cycle de réflexions et de propositions inauguré le 14 avril dernier (dont certaines contributions figureront bientôt sur le site), en vous invitant à vous inscrire dès maintenant à la 2ème journée de l'Appel des appels en envoyant un simple mail à contact@appeldesappels.org

L'entrée est libre.

PROGRAMME DE LA JOURNEE

9h30: accueil des participants par Julie Caupenne, secrétaire générale et Roland Gori, président de l'Appel des appels.

Trois invités seront présents à chacune des tables ronde, celles-ci seront suivies d'un débat d'une demi-heure avec la salle. Nous essaierons de développer nos propositions pour faire face à la culture du chiffre.

PREMIERE TABLE RONDE : RECHERCHE (10h-11h)

Animation et modération : Emmanuel Saint-James, Président de Sauvons La Recherche.

DEUXIEME TABLE RONDE : SANTE ET SOIN PSYCHIQUE (11h-12h)

Animation et modération : Marie-José Del Volgo et Fabrice Leroy, directeur de recherche et maître de conférences en psychopathologie clinique. Avec la participation de Patrick Conrath (Journal des psychologues).

TROISIEME TABLE RONDE : JUSTICE, PREVENTION ET TRAVAIL SOCIAL (12h-13h)

Animation et modération : Michel Chauvière, directeur de recherche au CNRS en sociologie. Marie-Blanche Régnier (vice-présidente du syndicat de la magistrature)

13h-14h : pause-déjeuner (il est possible de déjeuner sur place pour un tarif de 14 euros (plat + dessert) en s'inscrivant sur contact@lelieudit.com). 

QUATRIEME TABLE RONDE : CULTURE ET EDUCATION (14h-15h)

Animation et modération : Patrick Geffard, maître de conférences en Sciences de l'Education (sous réserve). Camille Laurens, écrivain (sous réserve). Avec la participation de Nicolas Roméas (Revue Cassandre/Horschamp).

CINQUIEME TABLE RONDE : MEDIAS ET POLITIQUE(S) (15h-16h)

Animation et modération : Roland Gori et Daniel Le ScornetAvec la participation de Pierre Winicki (sous réserve), directeur général de l'Institut Confiances.

 SYNTHESE DE LA JOURNEE : Stefan Chedri, psychanalyste, initiateur avec Roland Gori, de l'Appel des appels.

 -----------------------------------------------

Quelques informations sur nos actions et sur celles de nos amis

L'Appel des appels sera présent au congrès de la FNAREN du 20 au 23 juin 2012 à Clamart : http://www.congresfnaren2012.fr/accueil/ACCUEIL/accueil.html

L'Appel des appels participe aux projets de l'Institut Confiances : http://www.institut-confiances.org/fr/

Le 30 MAI à 20h30 lecture-rencontre avec ROLAND GORI autour de son dernier ouvrage LA DIGNITE DE PENSER au Local, 18 rue de l'Orillon 75011 Paris, Métro Belleville // PAF 5 euros. Réservation au : 01 46 36 11 89 - infos@le-local.net www.le-local.net

22 mai 2012

Prochaine réunion publique, le mardi 5 juin à 20h !

L'Amicale des Apaches vous propose
de se retrouver

le mardi 5 juin à partir de 20h

 

à La Joie du Peuple

au croisement de la rue Planchat et de la rue Alexandre Dumas

pour échanger sur le thèmede la transmission

et faire un bilan de cette première année de discussions

 

Entrée libre
Venez nombreux
!

10 mai 2012

A quoi sert l'échec scolaire ? par Bertrand Ogilvie

Un long entretien à lire en ligne entre Bertrand Ogilvie et Charlotte Nordmann, publié par le Revue des Livres: http://www.revuedeslivres.fr/a-quoi-sert-lechec-scolaire-par-bertrand-ogilvie/

Extrait :

"Il est évident, contrairement à [la] représentation de l’échec comme un « ratage », que [l'école] a été conçue dès le départ pour qu’un tel ratage statistique important ait lieu, accompagné bien sûr d’un volant étroit de réussite, qui aboutit à ce résultat que l’école reproduit non pas simplement la société telle qu’elle est, mais le fait que les individus qui y vivent considèrent comme naturelles les normes et les hiérarchies dans lesquelles ils viennent se ranger quand ils entrent sur le marché du travail.

[…]

Quand je parle de l’école, je parle de l’école française, de l’école telle qu’elle a été inventée en 1789 par les constituants français, au prix d’innombrables discussions, de polémiques – ce n’était pas un projet uniforme, évidemment. S’est dégagée à se moment-là l’idée très originale de fabriquer une institution qui ait pour objectif de mettre les enfants de chaque génération qui devaient suivre la Révolution française, laquelle avait été une œuvre de création originale, une fondation d’un droit en rupture avec la tradition, qui mette donc les enfants qui suivaient cet acte original de création en situation non pas de revivre cette invention sous la forme d’une tradition – comme cela devait arriver fatalement, puisqu’ils allaient hériter de ce système – mais le revivent comme quelque chose à réinventer. Pour cela, il fallait leur donner les moyens, dans tous les domaines possibles, d’être au niveau de ceux qui pensent, qui formulent conceptuellement les problèmes, et non de ceux qui les subissent. Il s’agissait de leur permettre de participer au débat public de plein pied dans le champ de réflexion et d’action de ce grand moment révolutionnaire de 1789. Il fallait donc inventer une institution spéciale dans laquelle on donnerait à toute la population française (avec évidemment, comme toujours, la question de ce qu’on entend par « tous ») la possibilité d’entrer dans la pensée du politique. Ce projet est politique depuis le départ, et l’est resté jusqu’au bout. Aujourd’hui, dans l’esprit des gens qui font fonctionner cette école, ce lieu reste associé – sur un mode assez lâche, qui est plutôt celui de l’association d’idées – à l’idée d’émancipation politique.

Bien sûr, depuis une vingtaine d’années, ce modèle est fortement concurrencé par l’idée que l’école est d’abord un lieu où l’essentiel est la « formation » – non plus l’instruction, ou l’éducation – au marché du travail, mais néanmoins, cette idée d’émancipation politique reste présente.

C’est ce qui renforce encore le scandale : l’école est un lieu où l’on met les enfants pour qu’ils deviennent des sujets, de leur pensée et de leur discours, sur le plan de la communauté politique et, en même temps, dans les faits, c’est d’abord un lieu d’humiliation, pour la majorité. Qu’elle soit légère, anodine ou gravissime, cette humiliation est partout, et l’école est un lieu de stigmatisation et en fin de compte de sélection.

En réalité, ce paradoxe n’est qu’apparent : cette école politique ne pouvait pas non plus ne pas affronter la question de savoir ce qu’on fait d’une masse de scolarisés qui, éduqués à égalité, débarquent dans une société profondément inégalitaire, dans laquelle la question de la propriété a été tranchée dans le sens de la protection de l’inégalité, et doivent donc, d’une manière ou d’une autre, articuler, accepter cette injustice d’une formation égalitaire qui ne contrebalance pas la vie inégalitaire qu’ils vont inévitablement mener – la Révolution française n’ayant pas été une révolution communiste, comme on le sait.

[...]

Le coup de génie de l’école française a été d’inventer un dispositif qui permet cette articulation, c’est-à-dire de transformer un système égalitaire en un système profondément inégalitaire. Attention, il n’y a pas du tout deux systèmes différents superposés : c’est un même système qui fonctionne à deux vitesses. La subtilité du système repose toute entière sur le fait que les individus, aussi bien les enfants que les enseignants, n’ont pas le sentiment d’être soumis à des normes extérieures, mais se perçoivent comme les auteurs de leurs propres normes. À travers le fonctionnement du travail scolaire, ils découvrent non pas un jugement extérieur, mais leur propre nature. C’est quelque chose de très subtil et complexe. Celui qui l’a le mieux déconstruit, même s’il ne l’a pas vraiment théorisé, mais qui l’a fait voler en éclats pratiquement, c’est Célestin Freinet.

Tout repose sur une double torsion, spatiale et temporelle. L’école est le lieu d’une double torsion permanente, depuis la maternelle jusqu’à l’université. Tout enfant qui va à l’école croit voir – sur le mode de l’évidence produite – un espace euclidien, simple, dans lequel il y a une certaine distance, très pensée, organisée, entre la bouche de l’enseignant et les oreilles de ceux qui l’écoutent. Tout ce que l’enseignant dit parvient de façon uniforme, en même temps, aux oreilles de tout le monde, dans le même temps, selon le même rythme, le même programme, de façon universelle. C’est  la fameuse représentation de l’école de la IIIème république selon laquelle, dans toutes les écoles françaises, à tel jour et à telle heure, tous les enfants apprennent la même chose. Dans cette espèce d’espace euclidien de la « classe » où tous ont la même chose en même temps, tout se passe à égalité.

En réalité, cet espace euclidien est une illusion totale : c’est là qu’il y a torsion spatiale. Comme nous le sentons tous, si l’on dessinait l’espace réel de la classe, on obtiendrait quelque chose de très complexe, en trois dimensions : les uns étant quasiment sur les genoux du prof, parce qu’il leur raconte des choses qu’ils savent déjà, pour des raisons familiales, sociales, les autres étant à des années lumières, très loin, et n’entendant rien. Mais cela, ça ne se voit pas. Ce qui se voit, c’est le contraire, c’est une égalité spatiale, qui justifie le propos, ressenti par les enfants comme la plus grande injustice, selon lequel : vous avez tous eu la même chose, entendu la même chose, alors on ne voit vraiment pas pourquoi, toi, tu en fais ça, alors que lui en fait tout autre chose, on ne voit pas pourquoi les uns ont compris et les autres pas.

Cette torsion a des effets politiques immédiats, évidents : elle masque l’inégalitarisme d’un enseignement prétendument égalitaire. Mais elle a aussi des effets psychiques, sur lesquels on passe souvent trop rapidement : elle fait mener aux enfants une existence paradoxale, qui, quand elle n’est plus soutenue par un consensus national bien cohérent, fait que le lieu perd toute signification et devient un pur lieu de torture, dans lequel les actes scolaires sont vécus comme des actes très violents. Ce n’est donc pas étonnant que dans des moments critiques, dans les banlieues, on voit des jeunes gens qui attaquent des écoles. Ça peut sembler absurde, mais c’est logique : ils attaquent un lieu d’humiliation, dont la logique leur a échappé, et auquel ils réagissent en le détruisant.

L’autre torsion est temporelle. Ce parcours scolaire est en principe un parcours de transmission ; sa définition n’implique absolument pas qu’il se fasse sous le contrôle d’un chronomètre. Or il se trouve que le système scolaire est profondément lié à la gestion d’une temporalité, qui est celle de l’évaluation permanente, et qui a pour particularité paradoxale d’être en désaccord total avec la temporalité réelle du mouvement par lequel les individus se portent peu à peu vers des savoirs. Ce mouvement vers les savoirs est, comme vous le savez, d’une extrême variété, et il n’y a d’ailleurs rien à dire de particulier sur sa temporalité. Puisque le principe de la transmission de savoirs, c’est que quelqu’un finalement sache quelque chose, peu importe que cela lui prenne une heure, trois jours ou trois mois… Or, tout à coup, dans l’école, il n’y a que ça qui est important : la question est de contrôler (les « contrôles » !) et de mesurer (la note), tel jour, à telle heure, ce que chacun sait. Cette distinction temporelle, qui en fait n’a pas de sens ni d’intérêt du point de vue du contenu même des savoirs, va devenir la question essentielle. Et la notation qui va être attribuée aux élèves sur cette base va devenir indiscutable. Elle va devenir un élément de la construction de l’identité de chacun, et on ne reviendra pas dessus. L’attitude des profs sur cette question est scandaleuse, ils n’arrivent pas du tout à admettre qu’on pourrait jouer avec cela, fausser les résultats ; ils témoignent là d’un aveuglement proprement obsessionnel. Pour tout le monde, on a affaire là à une évidence. Dans cet espace euclidien et cette temporalité simple où se trouve l’élève, ce qui se voit, c’est que son voisin a répondu à toutes les questions et pas lui. Il ne peut en conclure qu’une chose, vu le système d’interprétation dans lequel il est : qu’il y a une différence de valeur entre lui et son voisin, alors qu’il n’y a qu’une différence de temporalité, et que cette différence de temporalité n’a aucune importance, et n’a rien à voir avec la transmission des savoirs."

Publicité
Publicité
1 2 3 4 > >>
L'Amicale des Apaches - Education en démocratie
  • Issue de la crèche des Apaches des Vignoles, l'Amicale des Apaches organise des discussions publiques régulières autour de la démocratie et de l'éducation (Paris, 20°). Les discussions sont ouvertes à tous !
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 6 181
Publicité